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Le café culture

Activité variable (concours obligent), mais la promesse c'est un peu de culture à chaque fois. Et surtout d'ouvrir la réflexion sur une oeuvre, pas simplement de constater son existence.


Qatar : sommes-nous hypocrites ?

Publié par Corentin Delorme sur 17 Octobre 2022, 17:00pm

Catégories : #Football, #Sport, #Qatar

Ce n'est un scoop pour personne, le 20 novembre débutera la 22e édition de la Coupe du Monde de Football, et cette année elle aura lieu eu Qatar. Le sujet divise, car nombreux sont ceux qui appellent au boycott de l'événement pour tout un tas de raisons. Non-respect des droits de l'Homme, désastre climatique, morts d'ouvriers sur les chantiers, les polémiques sont multiples, l'événement est controversé, bref tout le contraire de la Coupe du Monde, censé être un moment fédérateur pour la population. Le football est le sport populaire par excellence, il n'y en a aucun autre qui rassemble autant. Il y avait quand même 1.12 milliard de personnes devant la finale de la Coupe du Monde 2018, à titre de comparaison, les JO de Tokyo c'est 3 milliards de téléspectateurs à travers le monde, un calcul étalé sur deux semaines. Pourtant, la Coupe du Monde a rarement autant divisé que cette année. Mais alors pourquoi cette année en particulier ? Que se passe-t-il dans les consciences collectives ?

Le désastre humanitaire

Il va sans dire que la Coupe du Monde est d'ores et déjà une catastrophe au niveau humain. En 2010, le Qatar avait un indice de démocratie de 3.09 selon l'ONU, ce qui le classe dans la catégorie des régimes autoritaires, et à l'époque à la 137e place mondiale. Pour le respect des droits de l'Homme, on repassera. Un argument pourrait être de dire qu'aujourd'hui cet indice a progressé et que le Qatar est sur la bonne voie. Oui, l'indice de démocratie qatarien a progressé, de 0.55 point, en 11 ans, et c'est toujours un régime autoritaire. Et entre temps, le pays a réussi à tuer 6 500 ouvriers sur les chantiers de la Coupe du Monde selon The Guardian. Je vais revenir sur le rôle des grandes instances, celui de la FIFA notamment, ici il est plutôt question de faire un état des lieux. A un peu moins de deux mois du tournoi, ce sont donc 6 500 pakistanais, indiens, népaliens et bengladais qui ont perdu la vie en construisant les infrastructures qui accueilleront les différents matchs. Et d'ailleurs, ce total n'inclut pas les ouvriers disparus au cours de l'année 2021, ni ceux issus de pays comme les Philippines ou le Kenya, le total pourrait donc être bien plus élevé. Cela fait une moyenne de 12 morts par semaine, plus d'un par jour si vos calculs sont bons, depuis l'attribution de l'organisation du tournoi au Qatar. Le pays a employé environ 2 millions de migrants dans ces chantiers, des travailleurs plus ou moins légaux, plus ou moins payés, travaillant dans des conditions terribles, sans sécurité, et qui ont souvent laissé leur famille derrière eux. Evidemment, le gouvernement qatari a refusé de procéder à des autopsies sur les corps des morts surprenantes et inattendues, et a également répondu que le nombre de morts était proportionnel au nombre de personnes employées, et que cela s'expliquait aussi par le fait que certains avaient vécu au Qatar pendant plusieurs années. La cause de mort principale pour le Qatar est une mort naturelle. Pas de commentaire.

L'autre désastre, il est climatique. Le Qatar a, depuis plusieurs années, un goût prononcé pour l'innovation technologique. Pour la Coupe du Monde, le pays a donc décidé d'innover en refroidissant le ciel. Le système de climatisation des stades du tournoi est une aberration environnementale, et cela la FIFA aurait pu y penser avant d'attribuer l'événement au Qatar. Au Qatar il fait chaud, c'est indéniable, l'été les températures oscillent entre 40 et 50°C, mais si l'hiver reste doux, on est bien loin de ces températures-là. Sauf que le 20 novembre 2010, il faisait 23°C, et que les températures baissent au cours du mois de décembre, rien qui ne justifie de climatiser le ciel donc. D'ailleurs, saviez-vous que le Qatar était le pays avec le jour le dépassement le plus rapide du monde ? Et oui, c'était le 11 février en 2019. Et aussi, saviez-vous que le Qatar était le pays rejetant le plus de CO2 par habitant dans l'atmosphère ? C'était déjà le cas en 2017. Alors oui, ces chiffres datent d'après l'attribution de la Coupe du Monde, mais l'on savait déjà que le Qatar était un régime totalitaire en plein développement dont l'empreinte carbone allait exploser notamment à cause de son orientation vers le tourisme de luxe et de l'exploitation massive du pétrole et du gaz présents sur le territoire. Plus récemment, comme le pays n'a pas la capacité d'accueillir tous les touristes qui viendront assister à l'événement, des vols-navettes quotidiens vont être mis en place pour déplacer les spectateurs qui se trouvent dans les pays voisins. Cela représente 160 vols par jour. Un rapport de la FIFA en 2021 rapportait que cette Coupe du Monde produirait 3,6 millions de tonnes de CO2, le bilan devrait donc même s'alourdir après cette annonce. Assez embêtant comme situation pour un émirat qui avait promis "la première Coupe du monde neutre en carbone de l'histoire de l'événement." Une fois de plus, pas de commentaire.

La politique de l'autruche

L'attribution de cet événement se joue à des niveaux qui nous dépassent tous autant que nous sommes. Il y a peu, l'ex-numéro 2 de la FIFA Jérôme Valcke, confiait dans un entretien au Monde que l'attribution au Qatar avait surtout été une question d'argent. A la question posée sur le bonus de 100 millions de dollars versé à la FIFA par la chaîne qatarie Al-Jazira en cas d'attribution de la Coupe du monde au Qatar, voilà ce que Jérôme Valcke a répondu : "Ces 100 millions de dollars étaient une prestation technique au cas où le Qatar gagnerait. Les droits TV ont été signés avant le vote, mais ces 100 millions n'ont pas été versés en cash à la FIFA [...]. Il n'y avait de notre part aucune volonté d'influencer le vote, car cela aurait été contraire à ma position contre le Qatar. En revanche, on s'est dit : « Le Qatar a tellement d'argent, profitons-en. » Il y a eu une clause similaire pour d'autres tournois, notamment au Canada."  Il y a toujours aujourd'hui des doutes quant à l'attribution de cette Coupe du monde, pour savoir si certaines voix ont été achetés ou non. Ces doutes viennent notamment du fait que la candidature du Qatar était la moins bien évaluée par le rapport d'inspection, et pour Jérôme Valcke, les membres du comité exécutif de la FIFA ne l'ont pas lu. Le problème des instances internationales du sport il est là, dans ces attributions troubles qui sont justifiées par des raisons politiques mais qui cachent souvent des intérêts financiers ou d'amitié. 

On questionne beaucoup l'attribution du mondial au Qatar, et c'est bien normal. Très critiqué pour son non-respect des droits de l'Homme et son attribution qui peut sembler frauduleuse, la question du boycott et de la critique d'autres attributions se pose. Pourquoi personne n'a rien dit quand la Russie a organisé la Coupe du monde en 2018, alors que le pays est loin d'être à la pointe en terme de respect des droits de l'Homme ? De même pour les Jeux Olympiques de Pékin, la Chine est-elle vraiment un exemple quand on parle des droits humains ? S'il y a eu boycott aux Jeux de Pékin, celui-ci a été politique et a mis du temps à venir. Et même si cela remonte à plus loin, le protocole de Tokyo avait déjà été signé lorsque le Brésil a été choisi pour accueillir la Coupe du monde en 2014. L'enjeu environnemental était déjà bien réel, alors pourquoi le Brésil, champion de la déforestation a-t-il eu le droit d'organiser un tel événement ? Le candidat parfait n'existe pas, et le but n'est pas de minimiser le scandale de l'attribution du mondial au Qatar, mais cela ne doit pas empêcher de remettre en question d'autres attributions et d'interroger la manière de faire des grandes instances, qui prennent des décisions étranges depuis un moment.

Pour revenir sur le Qatar, pour le moment aucun pays qualifié n'a annoncé qu'il n'irait pas au mondial, mais surtout aucun pays n'a annoncé de boycott politique de l'événement, et dans le contexte de pénurie d'essence que vivent de nombreux pays en ce moment, ou de tensions géopolitiques au Moyen-Orient, cela risque de ne pas changer. La scène politique est un immense théâtre, on y joue un rôle différent chaque semaine en fonction de ce qu'on nous propose et de ce qui nous arrange, mais à la fin ce n'est souvent qu'un rôle, sauf qu'il reflète parfois la vraie nature d'un Etat. Il est beaucoup plus simple d'appeler au boycott lorsque l'on est pas au pouvoir (François Hollande qui, s'il était président n'irait pas), et que la responsabilité d'un geste pareil n'a pas de risque d'avoir des conséquences sur la vie de millions de personnes. Mine de rien, c'est un geste extrêmement fort que de boycotter un tel événement, mais c'est aussi un vrai signe d'hostilité envoyé au pays organisateur. Alors je ne défends pas l'absence de boycott politique loin de là, simplement il faut aussi prendre en compte le dilemme que cela peut représenter pour un chef d'Etat

La prise de conscience au dernier moment

Mieux vaut tard que jamais comme dit le dicton, et il s'applique assez bien à la situation actuelle. Beaucoup de personnalités et de villes se sont d'un coup trouvées une conscience qui fait qu'ils ont pris une position claire et nette contre le mondial au Qatar. Philipp Lahm, ancien capitaine de la sélection allemande et champion du monde 2014, a annoncé le 8 août qu'il ne se rendrait pas au Qatar sauf si son rôle de consultant l'obligeait à le faire. Au mois de janvier, Eric Cantona avait déjà annoncé qu'il ne regarderait pas la coupe du monde, car le Qatar "ce n'est pas le pays du football". Il pointait également du doigt les morts sur les chantiers et la question de l'argent qui entoure l'événement. A titre personnel, certaines figures publiques s'engagent donc pour un boycott, certains depuis longtemps, mais les prises de position émergent tard et se font seulement à l'approche du Mondial alors que les problèmes étaient déjà là il y a dix ans. 

Pour ce qui est des institutions politiques, de nombreuses villes françaises ont annoncé au cours du mois de septembre qu'elles ne mettraient pas en place de fanzone avec des écrans géants pour diffuser les matchs. Quelques exemples avec Lille, Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux ou Strasbourg. Mais sans vouloir spéculer, il est plus simple de ne pas diffuser les matchs sur écran géant en sachant qu'avec une coupe du monde en plein hiver, ces lieux n'auraient sûrement pas été pris d'assaut. Et une fois de plus, sans vouloir spéculer, la crise énergétique qui se manifeste surtout depuis le mois de septembre pourrait aussi servir de prétexte, mais rien n'est avéré à ce niveau-là évidemment. Cependant, on voit bien que ces actions concrètes et importantes ont mis beaucoup de temps à arriver, les décisions n'étant prises que deux mois avant le début du mondial, et donc cela interroge sur pourquoi ces décisions ont mis autant de temps à être prises. Alors oui, il y a plusieurs années ce n'était pas autant de l'actu chaude qu'aujourd'hui, et la conjoncture politique a changé dans pas mal de villes entre temps, mais ne prendre des actions importantes qu'à quelques semaines de l'événement, c'est assez étrange. La prise de conscience est bien tardive et frise parfois avec l'hypocrisie.

Quand on voit des sélections nationales comme l'Italie ou la Norvège qui appellent à un boycott politique et médiatique du mondial, on peut se dire que c'est très noble de leur part que de prendre position de manière aussi importante. Mais quand on sait que ces deux nations ne se sont pas qualifiées pour la Coupe du monde, on se dit qu'ils sont dans une position beaucoup plus confortable pour demander une telle chose. Les instances politique peinent à prendre une position claire sur l'événement, et même leurs prises de position se font très tardivement, il y a un vrai problème à ce niveau-là. Les partis de gauche EELV et LFI appellent à un boycott depuis bien plus longtemps que le PS ou le PCF par exemple, et on ne peut leur reprocher aujourd'hui de ne pas s'être positionnés plus tôt. Rares sont ceux qui ont pris position rapidement. Cependant, appeler à un boycott diplomatique comme le font Raphaël Glucksmann, eurodéputé, ou François Hollande, cela a du sens, car c'est au dirigeant politique d'envoyer un message fort à l'Etat concernée, même si comme cela a été évoqué plus haut, c'est loin d'être toujours aussi simple. Appeler à un boycott médiatique, cela est compliqué, car la Coupe du monde est un événement majeur, qui n'a lieu qu'une fois tous les quatre ans, et les fans de football auront forcément du mal à passer à côté de l'événement. Un discours qui pourrait être défendu serait de dire que le téléspectateur n'est pas responsable de la décision de l'attribution de l'organisation du mondial au Qatar, et c'est vrai. Mais nous sommes aussi des êtres humains, et pour beaucoup un tel événement, organisé de cette façon n'est pas acceptable. Alors il faut choisir, mais nous sommes humains, et c'est comme pour tout, il est bien plus facile d'appeler au boycott quand le foot ne nous intéresse pas que quand c'est le sport dont on est fan depuis toujours. On peut regarder le mondial sans cautionner ce qu'il s'y passe, ce contre quoi il faut protester ce n'est pas la diffusion des matchs mais c'est contre l'attribution de ce genre d'événement à des pays qui ne devraient pas s'en occuper. 

Ce qui m'amène au cas des joueurs, et à la position délicate dans laquelle ils se trouvent. Cela fait des années et des années que de nombreuses figures politiques et même sportives affirment qu'il ne faut pas mélanger sport et politique. C'est un tout autre débat, mais dans le cas présent il faut en discuter un minimum. Plusieurs sélections ont pris position contre ce qu'il se passe au Qatar et contre certaines lois qui y existent. Fin septembre, huit sélection européennes ont annoncé le lancement de la campagne OneLove, qui se traduit par un brassard arc-en-ciel porté par les capitaines des sélections en question. Le but est de sensibiliser le public à la lutte contre toute forme de discrimination (racisme, antisémitisme, homophobie...), et donc l'idée n'est pas de seulement dénoncer la politique anti-homosexuel menée par le Qatar. Bien que la FIFA n'ait pas encore officiellement approuvée cette initiative, il semble peu probable qu'elle la retoque étant donnée que c'est une lutte contre toutes les discriminations. Autre initiative, la marque Hummel, qui fournit les maillots du Danemark, a dévoilé un maillot sombre aux motifs atténués en signe de protestation face aux nombreux morts sur les chantiers. La marque ne souhaite pas être visible dans ce tournoi, mais cette initiative a attisé les critiques de certains qui ont accusé la marque de vouloir faire le buzz avec ce maillot. Encore une fois cela n'est pas vérifiable, mais cela montre bien toutes les polémiques qui peuvent être engendrées par n'importe quelle initiative, même quand celle-ci se veut être positive. Pour en revenir aux joueurs et conclure là-dessus, il est très difficile de leur demander de ne pas aller au tournoi. Les joueurs sont comme nous, ils sont impuissants face aux décisions des grandes instances du football (cf la réforme de la Ligue des champions ou la Ligue des nations). Et même si cela peut paraître inconcevable à beaucoup de gens, le rêve de tout footballeur est de pouvoir jouer une coupe du monde avec son pays, c'est un rêve d'enfant pour beaucoup d'entre eux. Alors même si le pays où ils vont aller n'a pas les mêmes convictions qu'eux, comment leur demander de renoncer à leur rêve quand ils l'ont à portée de main ? 

La conclusion de tout ça est assez simple, chacun doit avoir conscience des enjeux et des dérives de cet événement, et si on sait que la mobilisation populaire peut faire des miracles, dans le cas présent elle vient trop tard. C'est très louable de protester maintenant, mais c'est presque vain car on ne va pas changer de pays maintenant. Ce qu'il faut, c'est que les instances mondiales du foot et du sport en général se remettent en question et prennent leur responsabilité face aux enjeux humains qui entrent en ligne de compte dans l'organisation de ces événements. C'est aussi aux instances politiques de prendre position, mais il faut le faire au moment où se décident les attributions et non pas quand il est trop tard. Le boycott politique sera sûrement l'arme la plus efficace pour montrer que ce qu'il se passe au Qatar n'est pas cautionné par la communauté internationale, mais pour l'instant à ce niveau-là , on manque clairement de courage.

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