Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le café culture

Activité variable (concours obligent), mais la promesse c'est un peu de culture à chaque fois. Et surtout d'ouvrir la réflexion sur une oeuvre, pas simplement de constater son existence.


Don't Look Up : trop satirique pour être crédible ?

Publié par Corentin Delorme sur 30 Janvier 2022, 18:00pm

Fin 2021, une petite bombe a été lâchée sur la planète Terre via Netflix. Le film Don't Look Up, réalisé par Adam McKay, a fait fureur sur la plateforme de streaming devenant très rapidement le deuxième plus visionné de l'histoire de Netflix. L'histoire, deux astronomes découvrent une comète qui fonce droit sur la Terre et doit la percuter dans six mois. Cette histoire de comète n'est qu'un prétexte pour le réalisateur du film, car ce dernier cache une satire de la société dans laquelle nous vivons, et la comète n'est en fait que le réchauffement climatique déguisé en débris cosmique fonçant à toute allure sur notre planète. Parler d'une satire cachée n'est peut-être pas tout à fait juste dans la mesure où le film se moque ouvertement des médias, des réseaux sociaux, du comportement de la société face à la catastrophe tout simplement. Ce qui est critiqué c'est l'inaction collective, un sens des priorités qui est entièrement inversé, une forme de politique de l'autruche que l'ensemble de la société pratique. Tout cela est juste et parfaitement justifié, mais le film étend ces phénomènes à l'ensemble de la société, tend à exagérer à outrance les comportements de chacun, aucune distinction n'est faite, tout le monde est mis dans le même bateau mais il y a là aussi, peut-être, matière à réfléchir. Alors satire trop satirique ou société trop aveuglée ?

L'intrigue

Revenons rapidement sur l'intrigue du film. Deux astronomes, Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) et Randall Mindy (Leonardo DiCaprio), découvrent une comète qui fonce sur la Terre et doit la percuter six mois après sa découverte. Les deux scientifiques préviennent la présidente des Etats-Unis (Meryl Streep) qui réagit avec un empressement des plus mesurés, c'est-à-dire qu'elle ne fait rien. Il faut dire qu'à quelques jours des élections de mi-mandant, la présidente n'a aucun intérêt à annoncer la fin du monde imminente. Elle va finalement réagir lorsque les calculs des deux scientifiques vont être confirmés par les plus grands scientifiques de la planète, et lancer une mission visant à dévier la comète à l'aide de missiles nucléaires. Mais, quelques secondes après le décollage, la mission fait demi-tour. Ce retournement de situation est dû à la demande de Peter Isherwell (Mark Rylance), qui est le plus gros donateur de campagne de la Présidente, et lui impose de demander l'abandon de la mission. Au lieu de cela, il veut envoyer sur la comète des drones, qui fragmenteront celui-ci pour en extraire des matériaux rares une fois les débris arrivés sur Terre. L'intérêt pour lui est évidemment d'obtenir des matières précieuses pour son entreprise technologique, publiquement il est déclaré que la comète contient assez de richesses pour éradiquer la pauvreté dans le monde, ce qui expliquerait pourquoi la présidente des Etats-Unis ne veut plus dévier la comète. Suite à une série d'événements, deux camps vont apparaître : les partisans du Look Up, qui croient au danger que représente la comète et sont peu nombreux, et les partisans du Don't Look Up, qui estiment que la mission est sans danger et sera une réussite. Ce qu'il faut savoir, c'est que la mission de désagrégation de la comète n'a reçu aucune approbation scientifique et représente, de ce fait, un danger conséquent pour la Terre. Attention spoiler, la mission échoue et la comète frappe la Terre, faisant disparaître l'espèce humaine de sa surface, enfin presque, mais nous y reviendrons. L'histoire, c'est donc le monde qui se divise en deux camps face à la catastrophe imminente, c'est une société qui suit ses dirigeants jusqu'à ce qu'ils réalisent qu'ils se sont trompés, c'est une sphère médiatique qui minimise la parole des scientifiques et se moque d'eux. Mais les choses sont bien plus compliquées que cela, et bien qu'un certain nombre de parallèles avec la réalité puissent être faits, il est important d'apporter des nuances à ces aspects sociétaux qui sont abordés.

La société satirisée

Penser que la société qui est dépeinte dans ce film n'est pas une représentation relativement proche de la réalité serait une erreur. Le film tombe d'ailleurs dans une période où la méfiance vis-à-vis de la communauté scientifique et des pouvoirs politiques a rarement été aussi grande... Difficile de ne pas voir un parallèle avec la crise sanitaire quand on voit des scientifiques hautement qualifiés prévoir une catastrophe ne pas être écoutés, devenant même sujets de méfiance, ce qui n'est pas sans rappeler la méfiance d'une part de la population face au vaccin, qui est l'oeuvre de scientifiques hautement qualifiés également. Ce parallèle est évidemment mineur et n'est pas l'objet du film mais il peut être intéressant de le relever pour éclairer un peu plus l'état actuel de notre société. Le parallèle le plus évident, et qui est l'objet du film, est celui réalisé avec la crise climatique que nous vivons, sur laquelle tous les scientifiques sont d'accord : elle est inévitable et déjà là, et si nous n'agissons pas vite il n'y aura pas de retour en arrière. Outre le fait que le film montre bien le message à l'unisson lancé par la communauté scientifique (ce qui est assez rare pour être souligné), il insiste également sur le rôle joué par les médias dans cette catastrophe imminente. Ici peut être souligné un certain contraste avec la réalité, assez léger certes mais bien présent. Les médias, et notamment la télévision, parlent de plus en plus de la crise climatique que nous vivons, bien que ce sujet ne soit que rarement la préoccupation principale des éditions du soir, et les scientifiques sont pris très au sérieux, ce qui n'est pas le cas dans le film. Le vrai contraste vient peut-être du fait que le film montre les médias audiovisuels comme un lieu de la moquerie, de la dérision, où rien n'est véritablement pris au sérieux, sauf la rupture d'une star de la chanson, mais nous y reviendrons. Le contraste vient du fait que les médias audiovisuels dans la réalité, ceux d'information, sont très sérieux, peut-être même trop, et ne sont pas des lieux de dérision, et le fait est qu'ils ne sont plus nécessairement le premier lieu d'information d'une jeune génération qui s'en éloigne pour d'autres moyens. Le fait est que les médias répandent assez peu de positivité autour d'eux, car le monde n'est pas un lieu à l'heure actuelle qui soit sujet à beaucoup de positivité non plus, et cela contribue à un détachement de ces médias traditionnels.

Aujourd'hui, l'information vient énormément des réseaux sociaux, et tous les débats publics entre civils y ont lieu, autrement dit ils sont un moteur essentiel du débat de l'opinion publique. Cela est très visible dans le film, notamment lorsque la société se divise entre partisans du gouvernement et partisans des scientifiques, le débat se faisant sur les réseaux sociaux. Mais une autre de ses facettes est moquée et critiquée, à savoir la tendance qu'ont les réseaux sociaux, et donc leurs utilisateurs, à se moquer et à accorder de l'importance des mauvaises choses, à se tromper de combat peut-être. Cela va sonner comme une phrase très bateau mais les réseaux sociaux sont un formidable outil de communication et de mobilisation populaire. Ce que le film essaie de nous dire, c'est que l'énergie qui y est déployée pour suivre l'histoire d'amour entre deux stars de la musiques pourrait être utilisée ailleurs, mauvais combat. Ce qui est aussi dit, c'est que les réseaux sociaux ne manquent pas une occasion de tourner en ridicule quiconque, dans le film c'est ce qui arrive à Kate Dibiasky, qui se met à crier "Nous allons tous mourir!" sur un plateau télé après que les présentateurs n'aient absolument pas pris au sérieux l'annonce de la destruction de la Terre dans moins de six mois. Celle-ci devient un meme international, ce qui éclipse totalement le message qu'elle a tenté de transmettre (maladroitement peut-être mais cela était justifié au vu des réactions de ses interlocuteurs). Les réseaux sociaux sont donc critiqués, pour leur énergie employée à mauvais escient et la tendance de chacun à se concentrer sur des choses qui sont en fait secondaires. Tout simplement, le film essaie de nous dire que la catastrophe qui menace notre vie à tous est plus importante que la rupture de deux stars de la musique, ce qui devrait être évident.

La vérité décuplée

Ce qui est peut-être le plus saisissant dans ce film, c'est le fait que la société qui y est dépeinte est on ne peut plus ressemblante avec la réalité. Avec, toutefois, une nuance assez importante, la réalité y est bien trop exagérée pour être véritablement crédible. C'est-à-dire que d'un côté, le film vise très juste sur de nombreux aspects mais d'un autre côté, le fait que ce soit une satire, et peut-être les choix de réalisation également, font que tout paraît trop énorme pour être crédible. J'insiste beaucoup sur ce mot car il me semble essentiel dans le projet de sensibilisation que le film mène, et ne pas réussir à convaincre son public est une carence trop grande pour ne pas être comblée. A vrai dire, le film peut s'avérer extrêmement convaincant sur un certain nombre d'aspects si l'on fait abstraction du caractère exagéré de leur illustration. Commençons par ce qui est juste et peut se justifier également. L'un des premiers constats qui peut être fait est l'évidente absence de confiance de la population envers la communauté scientifique, un débat dans lequel je ne rentrerai pas ici, mais le film montre bien ce déficit de confiance et une sorte de défi de la population vis-à-vis des scientifiques. Ce manque de confiance est la première cause de la catastrophe qui va survenir, et dont la population se rend compte bien trop tard, regrettant de ne pas avoir écouté. D'autre part, il est aussi possible d'envisager l'aspect très politique du film. Le choix est fait de se concentrer sur le cas des Etats-Unis, ce qui permet une critique indirecte en passant de l'institution fédérale américaine, en montrant son inaction et la façon dont elle gouverne. C'est peut-être l'autre grosse dénonciation du film avec le manque d'action pour contrer la crise climatique, la critique des lobbys politiques. La présidente des Etats-Unis décide en effet l'annulation de la mission qui devait détourner la comète car son donateur de campagne le plus important, Peter Isherwell, souhaite plutôt le fracturer pour en extraire les matières précieuses qu'il contient. Le film veut montrer la prééminence des lobbys dans le monde politique, comment les dirigeants des grandes entreprises font pression sur le gouvernement en place et peuvent changer la destinée d'un pays entier, ici de l'humanité, rien que ça. Inaction gouvernementale, lobbys et enfin peut-être, parler de cette société fracturée, coupée en deux, incapable de se rassembler. Ce constat, on peut tout à fait le faire dans le monde actuel, aux Etats-Unis puisque c'est le lieu du film il y a eu une véritable fracture politique et sociologique qui s'est créée suite au mandat de Donald Trump. Dans le film, la population se divise entre ceux qui croient à l'existence de la comète, et ceux qui n'y croient pas. Peut-être qu'ici une double critique est émise, d'abord celle contre les climato-sceptiques, représentés par les partisans du Don't Look Up, et ensuite peut-être ce constat, ou cette critique, que la société est divisée même face à la catastrophe, peu importe sa nature et que l'union du peuple n'est plus possible. Rien ne parvient à fédérer une population qui s'est séparée en deux camps diamétralement opposés et que rien ne peut rapprocher visiblement. Sur ce point-là, le film vise juste, le monde n'a jamais semblé autant divisé, les sociétés se fracturent un peu plus au fil des années qui passent, et il semble presque qu'une union n'est plus possible.

Mais bien que le film vise juste, certains aspects semblent trop exagérés pour être vraiment pris au sérieux, et ce sont en fait les combats les plus essentiels qui sont le plus exagérés, peut-être nécessairement pour sensibiliser le plus possible le public. Premier aspect peut-être trop exagéré, l'annulation de la mission spatiale par Peter Isherwell. Bien que les lobbys soient extrêmement puissants dans de nombreux pays et jouissent d'une influence des plus grandes dans la vie politique de ces pays, difficile de croire que les entreprises aient le pouvoir d'annuler une mission de la dernière chance de la sorte. Cependant, cette énormité cache tout de même la dénonciation du jeu d'influence entre les lobbys et les Etats sur la question climatique, car il est évident que la majorité des gouvernements n'en font pas assez, et que leurs politiques bloquent quelque part, et l'hypothèse des lobbys comme bloqueurs de politiques climatiques plus appuyées est assez plausible pour être émise. Autre aspect, le désintérêt de la population de l'urgence. En partant du principe qu'on ne parle que du cas des Etats-Unis, il est assez difficile de mettre toute la population dans le même panier au niveau de la mobilisation pour faire bouger les choses. La jeunesse notamment est très mobilisée sur la question, et n'est donc pas que concentrée sur la vie de ses stars préférées, une majorité des jeunes ont pris conscience de l'enjeu pour leur avenir que représente la crise climatique, et beaucoup agissent. Une critique qui pourrait être émise, serait de dire que le film accuse un peu trop facilement la population d'être inactive et passive, quand les grandes entreprises sont massivement responsables du réchauffement climatique. Là où le film est un peu trop tranché sur son approche, c'est bien dans son appréhension du rôle que joue la population dans la question climatique. Tout le monde est mis un peu au même niveau, à savoir une population manipulée par son gouvernement, qui n'agit pas et ne réagit que quand il est trop tard. Mis à part vers la fin du film, toute la population est dans le même panier, exit tous ceux qui sont mobilisés pour leur planète, ils semblent ne jamais avoir existé. Le film est sérieux et aborde bien tout un tas de sujets délicats, mais il est trop tranché dans son approche, peut-être que la satire l'exige, mais il manque trop de nuance et montre une réalité sans contraste ou tout est blanc ou noir, ce qui est trop peu représentatif de notre société.

Le mot de la fin

Don't Look Up est un bon film malgré tout, porté par un casting de très haut niveau, la satire vise juste sur plein de sujets et offre un regard un peu différent sur notre société. L'urgence climatique, la fracture sociale, l'inaction gouvernementale, tant de sujets qui sont traités au cours du film, tous plus délicats les uns que les autres, mais le ton satirique favorise ce traitement et permet, par moments, d'en rire plutôt que d'en pleurer. Car il vaut peut-être mieux rire que pleurer devant ce que l'on visionne, à savoir une fin du monde imminente qui laisse le monde indifférent, et dont laquelle les plus riches arrivent quand même à se sortir (en se cryogénisant, oui). Le film invite alors à agir pour inverser la tendance et éviter la catastrophe, tout simplement, à voir si ce procédé aura un impact quelconque. Il aura eu le mérite de faire couler beaucoup d'encre depuis sa sortie, et d'être visionné par une importante partie de la population, quoique insignifiante rapportée à la population totale. Il est crédible, et son issue est plausible si rien n'est fait, mais l'absence de nuance dans le traitement de la société, l'absence d'une solution concrète et par ricochet une approche un peu simpliste qui se contente de critiquer sans offrir une alternative, risquent de faire rapidement tomber ce film dans l'oubli. C'est une manière de voir les choses, ou alors le film invite à la réflexion, à la réaction, à l'action, et peut-être faut-il davantage le prendre comme un avertissement que comme une critique pure et dure de la société. A chacun de voir.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents